La barque noire

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Le petit royaume de la lecture




C'est une île qui fait rêver, me dit mon ami.
Chaque jour depuis plusieurs semaines, le vent était plein Est, quelques fois virant légèrement au Nord Est, mais revenant toujours, stable à l'Est. C'était un vent fort et régulier et s'il arrivait que la météo nationale annonce une chute de sa vitesse, sachant qu'elle se trompait souvent, on pouvait partir et être certain qu'en mer, le vent était là, on pouvait compter sur lui, plus que sur elle. Je souri à cette pensée!
Ce jour-là, le vent était faible et régulier, il a fallu deux petites heures pour aller jusqu'à la pointe de l’Hermite Golven.
-Je ne savais pas qu'il y avait une pointe Golven.
-Il n'y en a pas, c'est moi qui l'ai rebaptisée comme ça.
-Tu sais ou on est quand même! Interrogea t'il bien qu'il ne doutât pas de ses compétences de marin.
-Oui.
-Qui est ce Golven ? Comment est-ce que cela s'écrit ? un n ou deux n un h ?
-Pas de h, un seul n comme mon Pen ar bed. Golven, c'est un ancien, genre respectable qu'on respecte, peut-être un peu Hermite, il a surement quelques centaines d'années, peut-être un peu moins mais c'est pour ça qu'on les oublie, le temps l'a effacé il a été remplacé par un autre.
-Ah oui, par qui a t'il été remplacé ?
Qui fut suivi d'une autre question.
S’il a été oublié, comment en as-tu entendu parler ? Il n'est pas si oublié que ça !
-Celui que tu veux, il y en de nombreux et ce sont tous des saints maintenant. C'est un peu comme si on avait remplacé une culture par une autre.
Il ajouta:
-Aucune culture, aucune langue ne devrait être oubliée. C'est pour ça que je dépoussière un peu Golven que j'ai découvert dans un livre qui m'a bien plu.
La pointe était sur avant tribord, nous nous étions rapprochés de la côte qui coupait le vent et nous étions presqu'à l'arrêt. La ligne de traine ne prenait rien d'autre que des algues, nous étions trop près des cailloux, les fonds remontaient. On a rangé la ligne de traine qui ne trainait plus guère. Loin devant on apercevait de temps à autre quelques risées qui, parfois, semblaient assez fortes. Ou nous nous trouvions, la mer restait plate et seuls nos déplacements sur le bateau le faisaient bouger. Le vent semblait avoir abandonné cet espace et nous étions presqu'à l’arrêt.
La grand voile pendait, tombait comme le foc, ça les rendait moins nobles. Le soleil dardait ses rayons qui me poussèrent à mettre une casquette, les coups de soleil au crane font très mal parait-il, je préférais m'en prévenir, Il nous restait une petite heure à rester coincé, le courant de marée plus fort que le vent nous déportait dans la bonne direction, on se laissait faire. Les cailloux émergés étaient impressionnants et menaçants, la côte était déchirée, couverte d'algues.
Lorsqu’il y a une tempête le spectacle, de la côte, est magnifique. Les vagues viennent exploser contre ces rochers, les embruns volent, le vent hurle, on doit se rapprocher pour se faire entendre.
Le temps passait, on tournait lentement autour de la pointe et de ses écueils, avec le courant de la marée descendante lorsqu'un très léger, souffle d'Eole, vint doucement gonfler le foc qui retomba aussitôt mais l'espoir était né et on guettait le moindre signe dans la voile, on regardait avec espérance les risées au loin qui, nous semblait il, se rapprochaient. Quelques voiliers au large gitaient, le vent était là. Les minutes passaient, on retombait dans notre forme de léthargie, même si le foc donnait des signes plus que prometteur. La pointe était proche mais elle était maintenant sur notre travers arrière. Après quelques longues minutes, les risées se rapprochèrent, c'était certain, la mer changeait d'aspect. J’étarquais la grand-voile et assurait le foc à la main. Je tenais bien la barre et un instant plus tard, pris dans le vent, on s'est mis à filer. Le vent, un instant après, stoppa net, d'un seul coup, complétement, quelques secondes, nous laissant surpris, puis repris, puissant et fort. On a pris de la gite, tout de suite, devenu régulier, c'était du plaisir qui faisait du bien. Je jetais un regard vers la pointe qui s'éloignait rapidement, la côte nord était maintenant visible, le vent la longeait et nous étions maintenant dans le lit du vent.
La marée basse laissait voir à plusieurs nautiques, à l'ouest, des roches émergées, des roches noires.
On se laissait porter par le vent, il venait du nord est, nous voulions aller au sud-ouest pour passer au sud de cette grande zone dangereuse par ses hauts fonds. La mer caressait le liston et la gite était impressionnante, il fallait tenir ferme la barre. Pen ar bed aimait cette allure, c'était évident tant il se comportait bien. Je laissais filer et remonter à l'ouest pour ne pas s'éloigner de ces roches et peut être essayer de s'en approcher. Elles s'étendaient sur plusieurs nautiques, au loin un phare se dessinait. Il n'était plus question de penser à pécher, on allait beaucoup trop vite et toute notre attention allait entièrement aux voiles et au bord.
A mesure qu'on s'en approchait le premier de ces gros cailloux se dessinait de mieux en mieux, il était long de quelques mètres, assez massif, solide, comme tous probablement qui résistaient aux marées et aux temps, il ne dépassait pas les deux mètres en hauteur et devait être immergé à marée haute, quel danger pour la navigation. Un peu plus loin à l'ouest un autre rocher émergeait, précédé de deux plus petits. Ils semblaient un peu plus petits mais étaient tout aussi dangereux, invisibles à marée haute.
En portant le regard jusqu'au phare qui se voyait mieux, on pouvait en apercevoir de nombreux dont certains étaient bien plus long et bien plus gros, l'avant dernier de ce qu'il était possible de distinguer était composé de trois roches qui semblaient identique à cette distance.
C'est là qu'on l'aperçue, ça devait être une barque noire avec sa petite voile tout aussi noire, elle ne devait pas faire plus de quelques mètres de longueur. Elle pouvait être facilement confondue avec un rocher, c'est son déplacement qui nous l'a fait apparaitre, statique ou sans sa voile, elle serait restée invisible à nos yeux, elle serait passée pour une roche émergée.
On continuait notre bord à bonne allure et attentif à la navigation mais mon regard, régulièrement, cherchait et trouvait cette barque. On avait décidé de ne faire qu'un seul et long bord en essayant toutefois de remonter vers toutes ces roches, on ne voulait pas s'en éloigner, au contraire mais l'après-midi était bien avancée et on ne pouvait pas envisager aller plus loin, aller ailleurs, pas aujourd'hui. Le phare qui se dessinait attisait pourtant bien ma curiosité même si la barque n'était plus visible, je la cherchais sans succès, on filait toujours, vent par le travers arrière tribord, l'allure était vraiment fantastique pour Pen ar bed. Le regard portait toujours sur l'avant mais ma recherche de la barque noire était permanente et enfin elle réapparu, elle s'était déplacée vers l'est, peu, elle semblait à l'arrêt. La pointe Golven était loin lorsque je me retournai pour la voir, on allait à une bonne allure ! ça faisait plaisir. Plusieurs roches étaient loin sur tribord. Je pensais à cette barque qui avait sa petite voile noire de montée. Elle devait relever des casiers ou des palangres, de toute évidence son activité semblait être la pêche. Elle était en pleine zone dangereuse avec de très nombreuses roches immergées ou pas, sa petite voile lui permettait de se déplacer lentement et en toute sécurité, la mer était plate et de ce côté des roches, la barque était à l'abri.
On continuait notre bord, le temps passait, les dernières roches ne semblaient pas se rapprocher, ni le phare que l'on distinguait mieux, certes, mais il semblait vraiment trop loin. L'après-midi était maintenant trop avancée, il nous fallait penser à faire demi-tour. La barque était sur l'arrière du travers tribord et continuait à avancer, à stopper, se rapprochant quelques fois d'une des roches émergées que l'on voyait. La barque restait, à nos yeux, très petite, voilée d'une seule voile triangulaire, complétement noire. La personne à son bord semblait bien connaitre son affaire et il allait de point en point en maitrisant parfaitement tous ses déplacements.
Ça doit être un bon. Pensais-je.
On fit demi-tour, changement de bord. Le vent restait régulier, fort et cette allure convenait mieux encore à Pen ar bed. On aurait dit que le foc allait chercher le vent et que la grand-voile utilisait ce vent pour propulser Pen ar bed plus vite encore. C'était comme un système sans fin. Si j'allais volontairement à perdre le vent, que je fasse volontairement faseyer la voile, Pen ar bed laissait tomber l'allure et dès que je reprenais le bon cap que j'accrochais le foc au vent, il bondissait, reprenait son allure et c'était vraiment agréable à barrer et à vivre.
Plaisir de la voile, pensais-je.
Des minutes plus tard, la barque avait de nouveau disparu, le temps était clair et ensoleillé, ou était-elle ? Comment se fait-il qu'elle semble disparaitre ? Elle est là, c'est indiscutable.
Un peu plus tard, elle était de nouveau là, apparemment au même endroit, ou juste quelques dizaines de mètres plus loin, difficile à dire de si loin.
-Peut-être affale t'il sa voile qui est petite, très rapidement, pour s'arrêter le temps de faire ce qu'il a à faire puis la hisse pour aller au point suivant. Tu en penses quoi ?
-Peut être oui. Difficile à dire. Il faudrait s'en approcher.
-Oui mais on rentre, il est tard.
L'après-midi était trop avancée pour changer notre programme, il fallait rentrer et le vent allait baisser dès qu'on serait proche de la côte, il fallait en tenir compte. La marée allait remonter et cela allait nous aider, on allait se laisser pousser par le courant.
Le vent tournait légèrement au nord, cela ne gênait pas notre route ni la vitesse qui restait honorable.
Je regardais une dernière fois vers les roches qui m'apparaissaient noires également, comme le phare au loin que je ne distinguais presque plus, j'aperçu la barque et la voile, noires, il faisait route mais semblait être au même endroit depuis plusieurs heures maintenant. Il connaissait bien son affaire et utilisait savamment sa barque, sa voile, le vent et les courants.
On passa un peu plus au large de la pointe pour essayer de garder le vent mais rien n'y fit, il disparut, notre vitesse chuta. On ne remit pas de ligne de traine et on se laissa porter par le courant de la marée montante. Au loin, d'autres voiliers avançaient mieux que nous parce qu'une large baie laissait le vent passer, il nous fallait attendre. On croisa des pèche promenades, des pécheurs qui rentraient au moteur.
Trente minutes plus tard, on était poussé à notre tour par un vent léger et on se laissa déporter vers le sud pour conserver le vent jusqu'au port mais le courant ajouté au vent, les deux allant vers le sud, nous poussèrent également vers le sud et nous éloignaient du port. Une trentaine de minutes plus tard, le vent tomba presque complétement, seul le courant faisait avancer mais il nous éloignait toujours du port qui se trouvait plus au nord, finalement on mit le moteur en route.
La grand-voile et le foc inutiles furent roulés et rangés dans la soute à l’avant.
On termina cette sympathique sortie au moteur, route plein nord pour rentrer, cela ne dura pas bien longtemps, le port était très proche.
Le crépuscule du soir était là, la nuit naissait.
J'étais au port, la barque noire était toujours là-bas.
Qu'allait-elle devenir au milieu de cette zone dangereuse, ou partout les roches sont présentes, invisibles, indétectables, ou partout chacune de ces roches est un piège mortel, caché, qui attend l'imprudence, l'inconscience et le courage hardi du navigateur, pour éventrer son embarcation
Je n'osais pas m'y aventurer de jour et lui y restait le soir, peut-être la nuit, quelle somme de connaissances et d'expériences cela représentait.
Je l’imaginai.
Sur la barque noire , l’homme relevait son dernier casier. A ses pieds dans des bacs plusieurs homards, une langouste et divers poissons allaient être ramener au port. Il releva la tête un instant et balaya rapidement l’horizon, le phare devant lui, une bouée cardinale sud loin dans travers tribord, une autre balise avec son feu vert se trouvait à l’avant sur l’autre bord et beaucoup d’autres feux au loin lui disaient qu’il savait exactement où il était. La marée montait toujours, le courant le déportait il le sentait en bordant sa voile qui devait juste le maintenir en place pour l’instant. Le casier était vide, il le remit à l’eau puis rangea quelques bouts avant de mettre son bord clair et de se diriger franchement hors de la zone des roches. Il prit le chiffon posé sur le banc de nage, s’essuya les mains, vérifia que l’aviron du bord était toujours bien fixé, c’était sa sécurité, il regarda les étoiles, rares à cette heure, il aperçut un satellite qui défilait et une étoile filante. Il suivit le satellite plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’il eut disparu dans l’horizon indéfini du ciel. Il se laissait doucement porter par le vent qui l’éloignait des roches, il se savait déjà en sécurité et regardait d’un œil distrait sa route qu’il connaissait parfaitement. Il serait au port d’ici une heure. Il rentrait satisfait, la pêche avait été bonne, la météo était clémente et douce la température. Il pensa qu’il avait connu bien pire avec bien d’autres dangers, ce soir c’était du plaisir et il l’apprécia à sa juste valeur tout au long de son retour jusqu’à ce qu’il saisisse sa gaffe au corps mort.
Quelques acheteurs l'attendaient sur le quai ou il vendit en deux minutes toutes ses prises sauf une qu'il garda pour lui.

Qu'en était-il de la réalité ? Quelques jours plus tard le vent portait toujours à l'ouest et je décidai d'aller de nouveau vers ces roches noires mais je ne vis aucune barque, quelques jours plus tard de nouveau puis plusieurs fois, je reparti à chaque fois sans succès jusqu'à l'oubliée jusqu'à cette sortie, je tirai un bord vers la pointe qui me mènerait ensuite vers le port lorsque loin vers le phare se dessina quelque chose qui, immédiatement, me fit penser à elle et après une longue observation qui retira tout doute, c'était elle , c'était certain, la barque noire.
Je rentrai, il était trop tard.
Elle était à l'autre bout du plateau, cela semblait vouloir signifier qu'elle venait d'une île et non pas du continent.
Depuis la première fois et jusqu'à cet instant, je n'avais pas pensé un instant qu'il puisse venir d'une des iles qui se trouvaient à proximité de la côte, je m'étais complétement trompé. Je ne comprenais pas bien pourquoi je n'y avais pas pensé.
Elle venait de l'ouest et non pas de l'est.
Je l'imaginai.

Arrivé à bord de la barque, il posait ses affaires à l'avant, un ciré, un gros pullover et des chaussettes, à l'abri dans un coffre fermé, ses outils de travail, eux, furent rangés, chacun avait sa place. La dame de nage mise en place il se saisit de l'aviron pour sortir de l'espace de mouillage ou de nombreuses autres embarcations reposaient tranquillement attendant un futur départ.
Une fois dégagé du mouillage et sa route libre, il monta sa voile et prit la direction plein nord, il chercha sans la trouver la balise de sortie du chenal, il n'y preta pas plus attention, il savait être sur la bonne route, son assurance de lui-même prenait le pas sur la sécurité. Il avançait lentement au pré, le vent était force deux ou trois.
Enfin il aperçut la balise, il était sur la bonne route, tourna la tête et commença à préparer ses lignes qui étaient posées sous un banc de nage qu'il avait installé à cette seule fin. L'espace était restreint et avait été optimisé depuis longtemps. Après avoir passé la balise, il prit une route à l'est et après avoir contourné la cardinale nord pris au sud. Arrivé dans le chenal large d'un nautique, la barque se mit à filer. Le courant la tirait autant que le vent la poussait et en peu de temps elle arriva de l'autre côté de celui-ci à proximité de sa zone de pêche. Il regardait les différentes balises qui guidaient les navires. Il n'y faisait pas vraiment attention mais elles lui étaient indispensables.
Les roches n'étaient pas encore toutes découvertes, avec un peu d'avance il devait attendre mais il décida de modifier son parcours pour aller relever ses premiers casiers. Il prit la direction d'une énorme roche qui découvrait d'un bon mètre. Ils les connaissaient toutes, ou presque, certaines découvraient en permanence, d'autres selon les coefficients de marée, plus ou moins, les plus dangereuses étant celles qui effleuraient la surface de l'eau sans découvrir du tout, certaines effleuraient mais restaient visibles avec l'écume, mais d'autres étaient de véritables pièges et il était prudent de passer au large de ces espaces même si, il le savait, il devait probablement y avoir de quoi remplir un casier.
Il faut bien laisser des espaces complétement vierges de toutes activités humaines pour garantir la reproduction des espèces. Pensa t'il.
Il se sentit privilégié de pouvoir venir dans cet espace de pèche ou peu osaient venir, tant c'était dangereux. Cela lui permettait de vivre correctement et en plus sans payer aucune taxes, toute sa pèche était vendu cache. Il sourit comme devaient sourire les acheteurs qui revendaient ces mêmes produits ailleurs...
Le vent se calmait, il naviguait plus facilement et put s'approcher un peu plus de la roche ou il remit son casier en place. C'était un bon endroit, et meilleur encore quand c'était au plus près de la roche.
Il regardait la route qu'il allait prendre, il aperçut une puis deux nouvelles roches découvertes, la marée descendait.
Il continua ainsi pendant les deux heures suivantes jusqu'après le retournement de marée. Il travaillait et regardait de temps en temps quelques voiles de plaisance qui passaient très loin au sud-ouest.
Une des lignes avait été cassée, ça n'était pas la première fois que ça arrivait.
S'il y avait quelque chose au bout, cette chose allait y rester! pensa t'il.
Il refit une ligne et la remit en place, passa à la suivante. Ce même jour, une des bouées de casier avait disparu. C'était bien plus embêtant et couteux! Cela le mit de mauvaise humeur. Il chercha longtemps le casier autour de la roche, les fonds étaient faibles à cet endroit mais les courant l'avait emporté, rien n'y fit, il renonça. Il n'avait pas de casier à bord, c'était un bon endroit qui donnait à chaque fois, il devait en remettre un.
Il réfléchit. Aller prendre celui-là qui ne donne pas souvent et le mettre à la place de celui-ci mais ça va me prendre trop de temps le courant va être trop fort au retour. Il secoua la tête, rien à faire, il faudra prendre un nouveau casier la prochaine fois. Il reprit sa navigation jusqu'au casier suivant qui était vide.
Il termina de relever ses casiers puis mis une ligne de traine derrière sa barque. le clapot était fort et allait augmentant en allant vers le nord, jusqu'à la cardinale, après qu'il eut viré de bord, il n'avait plus qu'à se laisser glisser sur une eau et un courant que le vent ne contrariait plus.
Arrivé au port, il vendit toute sa pèche, principalement des dormeurs, un homard et garda pour lui le maquereau relevé de sa ligne de traine.
Il avait déjà remarqué que certains maquereaux étaient beaucoup plus gros que d'autres, celui-ci était de belle taille et d'un bon poids également, il était facilement deux fois plus gros que la normale.
Il prit avec lui les deux bouteilles vides, en plastique, qui flottaient et qu'il avait récupérer, elles étaient près de la grande roche, prise dans les algues par la marée basse.
Il était bien obligé de penser à la pollution dont en entendait parler partout et qui avait fait naitre quelques associations locales. La plus grosse pollution qu'il rencontrait était les filets abandonnés, oubliés, dérivants jusqu'à s'accrocher aux premiers rochers trouvés.
Si les personnes étaient moins sales il y aurait moins de pollution pensa t'il.
Quand il naviguait autour du monde, il y a de cela quelques dizaines d'années, il avait vu les grands ports ou il était allé, jeter à la mer tous leurs déchets, alors après un demi-siècle passé de ce traitement il ne faut pas s'étonner des conséquences de notre comportement inconséquent, irréfléchi et imprudent. Les fautes sont individuelles, la sanction sera collective.
Combien de temps cela allait-il encore durer, combien de temps cela pouvait-il encore durer ?
La nature était détruite petit à petit par l'homme. On ne pouvait qu'en être navré.
Il tourna son regard vers la jetée, le ciel et la mer, il était seul, il prit une profonde inspiration puis prit lentement la route pour s'en retourner vers chez lui.

Est ce qu'il naviguait réellement de cette façon ? Comment vivait-il, oserais-je ? De quel milieu social était-il ? je continuais donc à l'imaginer. Je barrais vers le port de plaisance qui était encore à bonne distance. La mer était plate, un vent régulier soufflait du nord, il avait tourné. J'avais l'esprit libre de toute préoccupation, je me laissais à imaginer une suite.


Il remontait lentement la côte qui menait au point culminant de l'ile. Il habitait la maison de ses parents qui étaient enterrés et reposaient dans le petit cimetière de l'ile. Pour arriver chez lui, il existait bien un petit chemin qui coupait à travers champs et qui était bien plus court mais il préférait passer par ce point culminant, de là on voyait presque toute l'ile, un second point haut se trouvait à moins d'un kilomètre à l'ouest et qui cachait toute la partie de l'ile qui se trouvait derrière. D'ici, on pouvait voir toute la côte de l'ile qui se découpait, composées de baies, de pointes et de petits ilots. Des, plages, des champs et des talus composaient le paysage avec ça et là quelques arbres rabougris et usés, courbés par le vent. Toutes les maisons étaient regroupées et formait le hameau qui étaient vieux mais très agréable, les maisons étaient disposées et architecturées de telle façon qu’elles protégeaient la place et les rues du vent et des mauvais temps, de petits jardinets devant certaines d'entre elles rendaient l'ensemble très agréable au regard, les fenêtres étaient ouvertes vers le sud pour aller chercher le soleil et chacune des portes d'entrées étaient une invitation. Le hameau lui-même était bien situé à l'abri des vents et placé sur le versant sud de la colline. Une montagne s'élevait là, les siècles l'ont usée, le vent, la pluie, la neige, tous se sont ligués contre elle pour qu'il n'en reste plus que cette colline avec ces masses titanesques de granit qui résistent encore aux temps et qui forment ce point culminant.
Il était chez lui, c'était son monde.
Entré chez lui, il mit en fonction la radio qui se mit aussitôt à débiter les informations françaises. La station était callée depuis des années, il baissa le volume, le sujet ne l'intéressait pas et il avait constaté, lentement mais surement, l'appauvrissement des informations, des interviews, des sujets abordés et il se sentait trompé, pris en otage par cette manipulation médiatique. Il n'y avait pas de tromperie avec la mer, il n'acceptait naturellement plus la mauvaise foi et la tromperie perpétuel des médias. Une chambre, une minuscule salle de bain et une grande pièce principale qui lui servait à la fois de salon, de cuisine voire d'atelier pour réparer un filet, composaient son espace de vie, accolés à la maison, deux appentis et un jardinet abandonné, rendu à la nature.
Il se savait relativement en sécurité, il allait là où les gros bateaux de pêche équipés de moteurs puissants, de dizaines de casiers et de filets de pêche de plusieurs kilomètres ne pouvaient aller. Les hauts fonds étaient trop dangereux pour eux. Les patrons le toléraient du fait de leur impuissance à aller piller cette inaccessible espace mais il savait ne pas être aimé.
Il allait relever ses casiers tous les deux ou trois jours, cela dépendait beaucoup de la météo et de son activité du moment.

La fois suivante, il remarqua de nouveau un petit voilier de plaisance qui longeait le sud du plateau des hauts fonds ou il travaillait. Il était facilement repérable avec ses voiles rouges. Il l'avait déjà aperçu mais il n'allait jamais bien loin et il ne s'était jamais aventuré au-delà des premières roches. Il faisait demi-tour avant la fin de l'après-midi pour pouvoir être rentré sur le continent avant la nuit, pensa t'il.

Professionnels et plaisanciers naviguent sur la mer et devraient se conduire correctement les uns envers les autres, en bonne intelligence, lorsqu'ils se croisent.
Le règlement maritime existe, il y a un code de la mer mais les comportements des uns et des autres dépendent beaucoup de leurs animosités personnelles.
En discutant avec des marins dans les bars, il n'est pas rare d'entendre raconter des histoires de provocations ou de casse entre gens de mer. Combien de casiers sont vider de leur contenu par d'autre que son propriétaire!
Une fois, un pécheur professionnel qui rentrait au port et qui passait non loin de la barque avait volontairement changer de route pour provoquer quelques bonnes vagues qui sont venues secouer la barque comme un simple bouchon et lorsqu'il est passé sur mon arrière, il a emporté ma ligne de traine avec lui ce qui m'a rendu furieux !
Quel con. Pensais-je.
On peut facilement imaginer que le patron de la barque ait pensé la même chose.
A chaque fois que j'apercevais la barque noire, j'essayais de m'en approcher le plus possible, je longeais le plateau sud en direction du phare que je distinguais bien désormais, je rentrais tard quelque fois, ce que je n'aimais pas. La nuit noire en mer m'effrayait lorsque j'étais à proximité d'une côte alors qu'en pleine mer, elle me stimulait et j'adorais cette navigation à l'aveugle en sachant que le danger était extrêmement rare, inexistant.
Quoiqu'il en soit, le patron de la barque noire et moi-même partagions désormais une même prudence à la vue d'un bateau de pêche.
C'était probablement ce qu'ils recherchaient, se prendre pour les rois des mers, être respecté, intimider...
La loi du plus fort ici comme ailleurs est toujours la meilleure, il en allait de même avec les gros cargos qui naviguaient au large, il valait mieux s'écarter de leur route rectiligne parce qu'en cas de route de collision ils ne bougeraient pas ! Les raisons pouvaient en être très différentes, les personnes de quart dorment, inattention, il passera à côté, on ne bouge pas, etc.
On se sent bien plus en sécurité lorsque l'on pèse quelques centaines de tonnes.

Le patron pêcheur se souvenait que son père avait remboursé l'achat de son bateau de pêche qui valait plusieurs dizaines de millions, en seulement quelques années, lui considérait que les pécheurs amateurs étaient maintenant bien trop nombreux et que c'étaient eux les responsables de l'absence de poissons. Son père avait dû oublier de lui dire qu'il avait pillé la mer, complétement anéantit, détruit de riches fonds marins qui étaient la source même de leur richesse. Il doit en pêcher des langoustes, des homards ! De quoi bien arrondir ses fins de mois. Pensait aussi le plaisancier.
Il y en a qui ont les moyens ! Naviguer pour le plaisir. Pensait également le pêcheur.
Chacun rejetait sur l'autre les causes de ses soucis. La tolérance, le partage était interdit lorsqu'il s'agissait d'argent !
En rentrant au port, je regardai le nombre impressionnant de pêcheurs alignés sur la jetée. Ils étaient de plus en plus nombreux à venir pêcher pour un bon repas qui leur couterait peu et leur donnerait de la satisfaction.
On se sert dans la mer, on y pioche tous sans scrupule, peu la respecte, tous la croient inépuisable.

Le vent dominant était au nord, c'était le meilleur des vents pour aller voir la barque noire. J'appareillai très tôt le matin puis dans le sud du phare et à l'extérieur du chenal, je patientai. La marée était haute mais je n'avais pas le choix si je voulais vraiment la voir de près.
Les heures s'écoulaient puis la renverse se fit et je dû rentrer, tout le long jusqu'à la pointe Goulven, je tournai la tête pour l'apercevoir mais c'était de toute évidence un jour ou il ne viendrait pas.
Je croisai, en rentrant, un vraquier dont le nom fait rêver, Tahuata qui est une île en Polynésie.
Pourquoi les îles me font-elles rêver ?

Le temps passa, des mois, un an puis deux avant que je ne décide de retourner pour essayer de voir de nouveau cette barque noire.
Je fis de nombreux aller et retour sans succès, elle n'est jamais venue quand j'y suis allé. J'ai poussé jusqu'au phare et tôt ou tard j'espérai l'apercevoir mais elle n'est jamais réapparue. Je décidais, pour en avoir le cœur net, de contourner la zone dangereuse par le nord et d'aller jusqu'au petit port de l'île qui devait l'abriter. Je regardais les marées, je prévoyais un aller et une nuit au mouillage si jamais j'avais perdu trop de temps et que je me trouve dans l'impossibilité de revenir le même jour. Il fallait également que la météo nous soit favorable.
Nous partîmes dès que le vent se mit à souffler régulièrement de l'Est, Nord Est. L’étale de basse mer était proche, on arriva assez rapidement à la pointe Goulven puis la marée montante, le courant et le vent nous menèrent sans aucune difficulté à travers le dédale de balises qui nous guidait vers l'île en toute sécurité. Il fallait faire très attention, on croisa quelques navettes et quelques pêcheurs juste après avoir passé la pointe Goulven, le restant de la traversée vers le port se fit ensuite sans rencontrer aucun bateau.
On arriva au à marée haute, nous n'avions que deux possibilités, une nous permettait de rentrer avant la nuit, l'autre nous obligeait à rester au port au mouillage, c'est ce que nous fîmes. On alla se mettre sur béquilles puis on alla à terre avec la plate qui fut rapidement tirée sur la grève.
Ça sentait l'algue et la mer.
-On se dirige par là. Dis-je en pointant du doigt ce qui semblait être la capitainerie. Il n'y avait apparemment pas âme qui vive...
On frappa puis on essaya d'entrer mais c'était clos. On se dirigea vers la maison suivante qui était également vide. Il n'y avait rien d'autre à faire qu'à continuer sur la route en marchant. A quelques dizaines de mètres après un virage se trouvaient quelques maisons qui formaient le hameau. L'une d'entre elle était ouverte et servait de bar, de maison du marin, d'atelier de bricolage, de depot, elle servait à tout et à tout le monde.
Après s'être présenté, on expliqua le pourquoi de notre présence et notre curiosité pour cette barque noire vue quelques années plus tôt. On offrit et on partagea quelques bières avec ces personnes bien sympathiques qui sans nous le certifier, nous apprirent que c'était probablement le vieux Gwen mais qu'il était mort et enterré au cimetière de l'île l'année dernière.
On pouvait voir sa barque de l'autre côté de la jetée, elle est posée, au sec. L'après-midi était trop engagée et ils nous conseillèrent de partir le lendemain matin très tôt.
-Et ou habitait-il ? Demandais-je.
-Au-dessus. Il habitait ici, à l’étage mais c'est reloué depuis. Vous ne pourrez pas y aller. Il ne possédait pas grand-chose et vivait de sa pêche, sa barque est toujours à vendre. C'était un sacré pêcheur ! Dit-il.
-Il était un des derniers habitants originaires de l'île.
-Il reste les Guerch'en et la Lucette mais personne ne connaissait mieux les roches que lui. Ajouta un des hommes présents dans la salle.
On repartit vers la grève ou était la plate. De l'autre côté de la jetée se trouvait une barque retournée, coque en l'air, le mat court, les voiles pliées et probablement tout ce qui la faisait naviguer était dessous abrité de la pluie. Elle était posée contre un énorme rocher, bien abritée des intempéries. La coque était bleue mais comme on l'a toujours aperçue de loin et en contre-jour, cela pouvait très bien sembler être noir, la voile était sombre, sans couleur, sale. On pouvait s'y tromper également, il semblait plus que probable que c'était bien là notre barque noire qui attendait un nouveau propriétaire. On pouvait voir des filets abimés, des casiers, une vielle caisse cassée, vide, ouverte et un aviron.
Rien n'indiquait que c'était à vendre, tout semblait abandonné et ne rien attendre.
Sur mon Pen ar bed, le lendemain en fin d'après-midi, en se tournant à l'ouest avant de passer devant la pointe Goulven, très loin, il nous sembla distinguer une barque noire en contrejour d'un soleil qui disparaissait.

FIN